Aujourd’hui j’aimerai vous parler d’un sujet qui me tient à cœur car je suis personnellement concernée : l’autisme, et plus précisément, le travail en tant que personne ayant le Syndrome d’Asperger.
Tout d’abord, faisons un bref récapitulatif sur ce que qu’est (et n’est pas) le Syndrome d’Asperger, car beaucoup de clichés circulent autour, et c’est au final assez mal connu.
Souvent, quand je dis que je suis autiste Asperger, on me demande des choses assez étranges, du genre :
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“Tu peux m’énumérer les 100 premières décimales de π ?”
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“Quel jour de la semaine était le 18 octobre 2005 ?”
Si certaines personnes autistes combinent également un haut potentiel intellectuel, ce n’est pas le cas de toutes. Les quelques cas que l’ont voit à la télé effectuer des prouesses intellectuelles ne sont pas représentatifs de la majorité des autistes.
À contrario, je peux aussi recevoir des remarques telles que:
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“Bah non tu ne peux pas être autiste, tu ne te tapes pas la tête dans le mur et tu parles…”
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“Moi je connais un vrai autiste, il n’est pas comme toi”
Alors oui, il y différents degrés de sévérités dans les TSA (troubles du spectre autistique).
Il y a d’ailleurs autant d’autismes que d’autistes, le spectre étant large et varié.
Ce n’est pas pour autant qu’il y a de vrais et de faux autistes.
Le syndrome d’Asperger, dit aussi “autisme de haut niveau”, fait parti des TSA.
C’est une forme légère d’autisme où il n’y a ni déficience intellectuelle ni retard de langage.
Contrairement à ce que l’on peut souvent lire ou entendre, l’autisme n’est pas une maladie.
C’est un trouble neurologique qui affecte toutes les sphères de vie de la personne : sa perception du monde, sa manière de communiquer, ses relations sociales et ses champs d’intérêt.
Particularités - à quoi ressemble un collègue Aspie
A première vue, rien ne permet de distinguer un Asperger.
On dit souvent, et à juste titre, que le syndrome d’Asperger est un handicap invisible.
Mais alors, quelles sont les particularités des personnes Asperger, et autistes plus généralement ?
COMMUNICATION & INTERACTIONS SOCIALES
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Difficulté de compréhension des codes sociaux:
Au travail, les personnes avec autisme ont très souvent des difficultés à comprendre et à se servir des codes sociaux (respecter les règles de politesse, savoir à quelle distance se tenir de l’autre, ajuster son comportement en fonction des liens hiérarchiques). Il peut leur être compliqué d’initier les interactions, de respecter le tour de parole et de s’intéresser aux sujets de conversation de leurs collègues. -
Difficulté avec la communication non verbale (Théorie de l’esprit) :
Une difficulté à discerner les pensées et intentions de l’autre selon l’expression du visage, l’intonation, la gestuelle. Ne parvient pas non plus à savoir qu’on attend ou espère de lui. Également des difficultés à comprendre l’implicite, le second degré, l’ironie, les métaphores.
Ces problèmes de communication résultent en un besoin permanent d’ajustement social, et peuvent être à l’origine de nombreux quiproquos. -
Attention particulière des détails :
La personne perçoit tous les détails d’une situation, d’un environnement, mais n’arrive pas spontanément à les relier les uns aux autres, ni à les hiérarchiser. “Elle perçoit chaque feuille d’un arbre sans être capable de voir l’arbre entier” (N. Minshew). Cette difficulté peut avoir des impacts sur le plan professionnel dans la mesure où la personne n’arrive pas à faire la part entre ce qui est important et ce qui ne l’est pas, et peut donc s’attarder sur des détails sans avoir une vision globale du travail à effectuer -
Expression sans filtre :
La personne ne sait pas faire preuve de diplomatie et dira ce qu’elle pense sans filtre. Elle peut du coup être perçue comme très malpolie vis-à-vis de ses collègues, bien qu’elle n’aie aucune intention de l’être. Ces maladresses sociales peuvent avoir des conséquences désastreuses sur ses rapports avec l’employeur et les collègues. -
Problèmes de planification et de gestion des changements :
Une personne avec autisme peut présenter des difficultés à décomposer étape par étape une tâche à réaliser, elle peut donc avoir du mal à s’organiser dans son travail.
Passer d’une activité à une autre est très difficile et frustrant pour elle, du fait d’un manque de flexibilité (ex: journée entre-coupée par des réunions)
Les personnes autistes sont réticentes au changement brusques et ont un besoin de routines pour se rassurer. Devoir gérer un imprévu génère du stress et les perturbe profondément. -
Difficulté à travailler en groupe :
Une personne autiste sera plus performante sur un poste solitaire qu’en équipe.
Se retrouver dans un groupe, soutenir l’attention dans les discussions, prendre la parole, débattre ou défendre son opinion peut s’avérer extrêmement anxiogène.
De plus, la personne a souvent une faible estime d’elle-même, résultant en un manque de confiance.
En difficulté pour organiser et formuler ses idées, elle peut avoir du mal à se faire comprendre et se renfermer sur elle-même.
NEUROSENSORIEL
La grande majorité des personnes avec autisme sont très vulnérables au plan sensoriel.
Elles présentent des difficultés à sentir, comprendre et organiser les différentes informations sensorielles provenant de leur corps et de l’environnement.
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Hypersensibilité sensorielle :
Auditive (hyperacousie, incapacité à filtrer les bruits de fond)
Visuelle (agression par les lumières, néons, reflets, difficulté à regarder dans les yeux),
Tactile (évitement des contacts physiques, des difficultés avec certaines textures)
Olfactive (évitement ou recherche d’odeurs, de flairage corporel ou d’objets) -
Comportements répétitifs et stéréotypé :
Balancement, flapping (mouvement de mains), tripoter un objet ou partie de son corps.
Ces mouvements sont des stimulations et en aucun cas un signe de « folie ». Cela répond à des besoins sensoriels, comme une personne peut se parler à elle-même pour se donner du courage ou se balancer sur sa chaise pour se détendre. -
Centre d’intérêts restreints et spécifiques :
La personne peut passer des heures à parler d’un sujet qui la passionne, sans se rendre compte que cela ennuie l’autre.
Elle alloue aussi tout son temps libre à faire toujours plus de recherches en rapport avec sa ou ses passions envahissantes. Elle est insatiable et ne s’en lasse jamais. -
Hypersensibilité et instabilité émotionnelle :
Elles peuvent avoir du mal à réguler et exprimer leurs émotions.
En cas de stress trop intense, d’excès de stimuli/informations, d’une altercation ou contrariété, cela peut résulter en un Meltdown ou un Shutdown : une détresse émotionnelle où la personne n’est plus capable de gérer.
Le Shutdown: En informatique, un shutdown est une commande permettant l’extinction de la machine à partir du terminal. C’est un peu la même chose pour la personne, elle se met en mode “off”, est totalement déconnectée, n’interagît plus. Cela peut durer plusieurs minutes à plusieurs heures.
Le Meltdown: Le meltdown, dit aussi effondrement autistique, est souvent très impressionnant et se décrit comme une crise de fureur subite. Il permet d’extérioriser un état qui ne convient plus à la personne qui y est sujette.
Toutes ces spécificités sont très variables en intensité pour chaque personne avec TSA. Lorsqu’elles ne sont pas prises en compte, elles impactent à différents niveaux son travail : elles entravent la concentration, génèrent de la fatigue, provoquent du stress.
L’entretien d’embauchE
Et puisque que pour trouver un travail, il faut dans la grande majorité des cas passer un entretien d’embauche, je trouve important d’en parler.
C’est probablement la partie la plus difficile dans la recherche d’emploi, l’épreuve est rendue quasi impossible à réussir pour une personne autiste.
Basée sur les compétences sociales, l’entretien d’embauche apparaît comme une barrière discriminante pour une personne autiste qui joue mal la “comédie” liée à ce rituel de passage.
Elle échoue aux tests psychologiques dont elle ne déjoue que rarement les pièges.
De ce fait, dans la majorité des cas, les adultes autistes qui accèdent aux postes qui les intéressent y parviennent par cooptation, sans passer d’entretien d’embauche.
Solutions et aménagements de travail
Beaucoup de personnes avec autisme ne parviennent pas à trouver un travail.
Cependant, avec la mise en place d’aménagements simples et adaptés, prenant en compte les particularités des personnes autistes, il est tout à fait possible pour elle d’exercer son métier avec sérénité et efficacité.
J’ai la chance de travailler dans une entreprise qui a su être à l’écoute de ces problématiques et a mis en place une multitude d’aménagements pour m'aider au mieux dans mon travail (et aider aussi toutes les personnes qui pourraient en avoir besoin).
Concrètement, voici les aménagements mis en place par Toucan Toco :
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Points réguliers
Mise en place de points réguliers avec le/la manager pour s’assurer que la personne va bien, et voir s’il y a des éléments à ajuster. -
Calendrier précis
Éviter les imprévus autant que possible.
Par exemple, pas de réunion improvisée à la dernière minute, éviter au maximum les changements de taches, d’horaires, de cadre de travail.
Prévoir un calendrier exhaustif regroupant tous types de taches, et déterminé au moins une semaine à l’avance. -
Instructions écrites
Privilégier les instructions écrites plutôt qu’oral.
Fournir la description la plus claire et pragmatique possible dans les tâches et les objectifs, en évitant toutes informations ambiguës ou implicites.
Faire un découpage des taches en bullet points -
Meeting filmés :
Toutes les réunions sont enregistrées et mise à disposition des personnes.
Il m’arrive souvent d’être distraite lors des réunions, d’avoir du mal à suivre l’interlocuteur ou à me focaliser sur l’essentiel (je suis également TDAH, Trouble De l’Attention avec Hyperactivité, les réunions sont donc un défi quotidien pour moi)
Les enregistrements me permettent de les (re)visionner plus tard. -
Espace calme
En Open Space, permettre l’utilisation d’un casque antibruit, et définir un bureau attitré.
Souvent lors de la pause dej dans la salle commune, pour essayer de participer au mieux à la vie d’équipe, j’utilise des bouchons d’oreille qui réduisent considérablement le “brouhaha” ambiant, mais laisse passer la voix des personnes proches. Je peux donc manger à table avec mes collègues sans pour autant me sentir agressée par le bruit (78db quand même), et finir en surcharge sensorielle avec fatigue, stress et migraine.
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Pauses et siestes
Autiste ou non, il a été prouvé que la prise de pause fréquente et siestes améliore les performances au travail
C’est pour cela que chez Toucan Toco nous avons une super salle de sieste à disposition avec un matelas, des poufs et des coussins !
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Prise de parole en public
Les autistes n’aiment généralement pas être sur le devant de la scène.
Sauf si cela s’avère indispensable, éviter autant que possible de lui faire animer une réunion, tenir un speech, et de manière plus générale toute prise de parole en public.Je suis arrivée chez Toucan Toco suite à une reconversion professionnelle autodidacte, on m’a donc demandé de faire un talk pour parler de mon parcours atypique. Super idée sur le papier, mais concrètement cela m’a demandé énormément de préparation, écrire mon speech et l’apprendre par coeur jusqu’à la moindre anecdote citée dedans, demander à des collègues de me faire répéter. Le jour de la conférence, je me suis enfermée dans une salle et je me suis filmé durant 4h en récitant, re-récitant encore et encore jusqu'à ce que je puisse le faire en “mode automatique” sans même réfléchir. J’ai réussit tant bien que mal à tenir ce talk face à une centaine de personnes (D’ouvrière en abattoir à développeuse - Tiffany Vachez), devant gérer les problèmes informatiques, l’éclairage éblouissant, les questions non prévisibles du public. Même si je suis fière d’avoir réussi cette épreuve, cela m’a généré une fatigue et un stress extrême que je n’avais jamais connu auparavant, entraînant des vomissements, vertiges, pleurs et crises la veille et les jours qui ont suivi.
Alors oui du coup cela est possible avec de la préparation, mais il ne faut pas sous-estimer l’impact que cela aura sur la personne autiste. Toujours se demander si cela en vaut réellement la peine.
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Télétravail - horaires arrangés/décalés
Le télétravail est possible pour qui le souhaite, de manière ponctuelle ou permanente.
Cela est très attractif pour les personnes autistes car il n’y a plus toutes les contraintes sociales, sensorielles, d’horaires et de transport.
Pour ce qui est des horaires, parfois mon cerveau n’est pas disponible au moment où il le faudrait. Pour ma part, je suis nettement plus performante le soir après 18h, voir la nuit, à l’inverse de mes collègue qui font des horaires plus classiques (9h-18h).
L’entreprise tolère donc le travail en horaire décalés ou arrangés, dans la mesure où je reste disponible pour les points nécessitants ma présence, et où cela n’induit pas d’heures supplémentaires. -
Encouragements
Enfin, Soyez généreux en encouragements !
Bénéfices pour l’entreprise
Après avoir longuement parlé des difficultés des personnes avec autisme, parlons maintenant des nombreux avantages qu’on peut obtenir en embauchant ce type de profil.
Voici quelques point qui pourrait vous convaincre d’engager une personne autiste.
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Grace à son sens du détail, elle est minutieuse et perfectionniste. Elle ne supporte pas l’échec et est intransigeante envers elle-même. Elle accorde énergie et rigueur dans son travail avec un constant désir de bien faire.
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En raison de sa nature rigoureuse et peu flexible, elle est ponctuelle et fait le maximum pour rendre son travail dans le temps imparti.
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Sa capacité de concentration est souvent impressionnante en intensité et durée. Quand elle est lancée dans une tache bien structurée, rien ne peut l’en détourner. Elle est capable de faire des heures supplémentaires jusqu’à atteindre son objectif. Cependant, attention au surmenage.
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Honnête, fiable et authentique, elle est incapable de mentir et manipuler.
Du fait de son appréhension aux changements, elle sera fidèle à son poste et à l’entreprise.
Cependant, n’aspirant généralement pas à être promue, il faudra l’accompagner dans son évolution de carrière. -
Elle pense différemment et peut envisager de nouvelles approches, solutions à une problématique.
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Son besoin de routine lui confère une appétence pour les taches répétitives. Là où les autres employés seront rapidement lassés, la personne avec autisme gardera quand à elle une motivation et une implication forte.
Les professionnels autistes ont donc des aptitudes différentes de celles des autres employés, ce qui leur permet de traiter plus facilement certaines tâches.
Elles se manifestent sous différent degrés selon les personnes, mais aussi selon les adaptations misent en place par l’entreprise.
Conclusion
Embaucher un profil atypique, ce n’est pas une simple mesure RH parmi tant d’autres.
C’est enrichir son équipe, mais aussi lutter contre les préjugés et l’exclusion des minorités, en allant vers un modèle d’entreprise plus inclusif.
Sources
Mme Françoise Di Costanzo - Psychologue clinicienne spécialiste du Syndrome d’Asperger et fondatrice d’Aspi'ration
Tony Attwood - Le syndrome d'Asperger - Guide complet
Josef Schovanec - Je suis à l’est !
https://www.antioch.edu/wp-content/uploads/2017/01/ASDEmpGuide.pdf
https://les-tribulations-dune-aspergirl.com/wp-content/uploads/2014/03/Asperger_TED_Cheo.pdf
Handicap et travail: comprendre son collègue autiste Asperger
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