La diversité ce n’est pas avoir 50% des employés qui sont des femmes. Si le problème de la diversité est posé comme un objectif chiffré à atteindre, les solutions sont cherchées dans les chiffres. Cependant les taux sur l’égalité salariale ou l’égalité hommes/femmes dans l’entreprise ne sont pas représentatifs de la diversité. Un taux ne peut pas exprimer une culture dans laquelle chacun peut travailler sans être discriminé.
Le sujet des femmes dans la Tech représente parfaitement cette idée. Il n’y a pas assez de femmes dans la Tech car il n’y a pas assez de femmes dans les formations d’ingénieurs ou de développeurs. On en déduit que c’est la raison pour laquelle il n’y a pas de femmes sur le marché de l’emploi. Face à cela les entreprises se lavent les mains en exprimant leur déception.
C’est un statu-quo. L’industrie regarde le graphique sur le taux de développeuses baisser depuis plus de 20 ans sans en chercher la cause.
Le débat est bloqué sur ces chiffres. Ce qui est dommage c’est qu’on ne parle jamais des stéréotypes sur les femmes qui sévissent dans l’industrie depuis plus de 20 ans. Ces stéréotypes sont une réelle barrière.
C’est là tout le problème. Nous avons à notre portée des informations sur lesquelles personne ne prend d’action.
La diversité ce n’est pas un quota à atteindre
Quand une entreprise parle de diversité, elle mentionne les quotas respectés ou non. Cependant on n’entend jamais parler d’actions mises en place afin de créer une culture ou un état d’esprit propice à l’acceptation des différences de chacun.
Le problème c’est que vous pouvez avoir à la fois 60% de femmes et une culture sexiste. C’est pour cela que la diversité telle qu’on en parle aujourd’hui ne fait pas sens.
La culture inclusive répond à ce besoin de pouvoir travailler en étant authentique à travers la mise en place d’actions et de codes communs. Cela veut dire que chaque employé et décisionnaire peut exercer sa fonction, sans subir de préjudices quant à ses orientations sexuelles, ses croyances, son ethnie, son genre ou son handicap.
Mon but est de retranscrire à travers ce papier ce que j’ai pu voir comme actions concrètes pour favoriser le travail dans un cadre bienveillant et inclusif. Ces observations sont inspirées de startups, dont la mienne. En voici la restitution.
Comment créer une culture inclusive ?
1. Mettre en place des valeurs d’entreprise bienveillantes
En créant des valeurs et une culture d’entreprise qui soient bienveillantes d’un côté et extrêmement fermes face aux discriminations, vous permettez à chacun de créer des préceptes auxquels ils peuvent se raccrocher. Ils permettent à chacun d’invoquer des règles de vie qui leur donnent la possibilité de se protéger ou de protéger d’autres collaborateurs qu’importe le niveau hiérarchique de l’interlocuteur.
Par exemple chez Toucan Toco nous avons créé des valeurs de partage et de bienveillance comme “Be well and take care”. Elles établissent la nécessité que chaque individu se sente bien et travaille dans un environnement sain. Lorsque quelqu’un sort du schéma bienveillant, nous lui rappelons les codes qui font que notre écosystème fonctionne bien.
2. Créer des opportunités pour échanger
Les employés qui se sentent à l’aise et qui peuvent s’exprimer de manière authentique au travail ont tendance à mieux performer. Ils restent plus longtemps dans une entreprise et contribuent à la meilleure organisation des process et de la vie au bureau. Ils seraient même 12% plus productifs selon la Harvard Business Review.
Chez Toucan Toco nous avons créé plusieurs espaces dans la semaine qui permettent à chacun de s’exprimer. Nous offrons la possibilité de communiquer sous plusieurs formes: post-it de feedbacks, points journaliers et hebdomadaires dans lesquelles on s’exprime tour à tour, réunion mensuelle avec un des fondateurs …
Les réunions matinales par exemple, nous offrent l’occasion d’évoquer d’éventuelles difficultés sur un projet, qu’elles soient mentales ou techniques. Lors de cette zone d’échange, un bâton de parole est passé à la personne qui s’exprime. Il lui garantit de pouvoir s’exprimer sans être coupé. Cette écoute est selon moi fondamentale pour créer un environnement bienveillant et inclusif.
Par ailleurs pour faciliter le dialogue entre les équipes et les collaborateurs, nous avons désiloté l’entreprise. Les visiteurs de nos bureaux sont toujours surpris qu’il n’y ait pas de lieux dédiés à des départements. Il n’y a pas les traditionnels open spaces des développeurs, des sales, des marketeux …
Chaque individu change de place de manière aléatoire toutes les semaines. Alterner de bureau régulièrement vous force à sortir de votre zone de confort et à parler à de nouveaux collaborateurs. Cela donne lieu à des échanges extrêmement bénéfiques d’un point de vue personnel ou professionnel à travers la génération de nouvelles idées.
3. Adopter une stratégie qui prône le changement par la bienveillance
Peu d’entreprises arrivent à instaurer un changement aussi rapide que celui qu’a pu réaliser la startup française Algolia. Leur objectif était d’adopter l’anglais comme langue de base dans l’entreprise afin de pouvoir mieux intégrer les étrangers suite à leur internationalisation.
La question qui se posait: comment réussir à inclure 40% d’étrangers dans une culture française ? Premièrement en ayant 100% des échanges réalisés en anglais. Les premières actions ont été d’offrir des cours d’anglais à l’ensemble des employés.
Deuxièmement grâce à l’utilisation d’une boîte à meuh. Chaque collaborateur avait une boite à meuh à portée de main. Dès que des conversations étaient entendues en français, l’instruction était de faire sonner ces boîtes à meuh. En quelques semaines les Français se parlaient entre eux en anglais et cela a permis d’inclure les étrangers rapidement.
C’est ingénieux.
C’est une action commune, il n’y a pas un seul responsable qui est en charge du succès de l’opération. L’action est simple et actionnable par n’importe qui et elle a peu de chance de s’essouffler.
C’est ludique, lorsque l’on se fait reprendre ce n’est pas toujours agréable, mais l’aspect humoristique permet de mettre son égo de côté.
4. Offrir de l’autonomie à travers des horaires souples et des open holidays
Si vous souhaitez construire une culture inclusive, offrez de la liberté aux individus.
Chez Toucan Toco il est possible de prendre ses vacances n’importe quand, en avance sur son solde dès la première année. Il n’y a pas d’horaires établis et l’on peut travailler de chez soi.
Cette souplesse permet de laisser à chacun l’opportunité de se développer en dehors du travail. Que les employés soient des sportifs, des musiciens, des parents ou encore des blogueurs, ils ont besoin d’espaces dédiés qui ne peuvent pas être prévu à l’avance. Leur enfant est malade ? Leur répétition de musique est avancée ? Ils n’ont qu’à cliquer sur un bouton dans le logiciel RH et ils modifient leur journée.
Sans contraintes rigides, les employés peuvent complètement se dévouer à leur travail sans subir de charges mentales. Vous souhaitez un environnement qui prône la diversité de profils et d’opinions ? Laissez l’entreprise s’adapter aux contraintes de chacun !
Quand on voit que certaines entreprises demandent encore des certificats de décès pour laisser leurs employés aller à un enterrement, on voit qu’il y a encore du chemin à faire.
5. Etablir une rémunération équitable et offrir plus de transparence aux employés
Les derniers chiffres de l’INSEE sur l’inégalité de salaires rapportent que les femmes ont un salaire 18,6 % plus faible que les hommes. Pour éviter ce type de discrimination, certaines entreprises passent par la transparence totale des salaires.
La raison est simple. Si les salaires sont transparents, les employeurs doivent justifier la différence de rémunération entre chaque personne. Cela nécessite donc d’avoir une rémunération logique, qui soit basée sur des indicateurs rationnels et quantifiables tels que l’expérience, la performance ou le niveau de responsabilité.
Buffer est allé encore plus loin en ouvrant la rémunération au public. Chaque employé a son salaire disponible à consultation par n’importe qui. Pourquoi ? Le fondateur de Buffer cherche la transparence parfaite sur tous les sujets. Selon lui une transparence totale permet de construire une forte relation de confiance entre les collaborateurs.
6. Faire un recrutement sur les compétences et les valeurs plutôt qu’au diplôme.
Beaucoup d’organisations appliquent un premier niveau de sélection en fonction du diplôme ou de l’école puis se focalisent sur les compétences. Cette logique pouvait avoir du sens il y a 20 ans, lorsque la majorité des formations étaient alignées avec les besoins des entreprises.
Cependant internet est arrivé. Depuis, le rythme de création de nouveaux postes est tellement élevé et tellement spécifique que les écoles, universités et autres organismes de formation ont de la peine à suivre. C’est en cela que ce modèle de sélection ne fait plus sens aujourd’hui.
Chez les développeurs par exemple, vous vous privez de 56% des développeurs du marché si vous réalisez une telle sélection, car la majorité d’entre eux apprennent à coder sans suivre des formations d’ingénieurs. L’effet pervers d’une sélection au diplôme ne s’arrête pas là, car vous créez un environnement dans lequel chaque profil est similaire. C’est du cannibalisme intellectuel.
Ce concept est très bien résumé par le concept de “startup bros” aux états-unis. Un monde où les hommes blancs, de 25 à 40 ans, diplômés d’études hors de prix, sont privilégiés aux dépens des autres. Cet univers se restreint aux mêmes codes, à la même mentalité et l’organisation perd toute possibilité d’inclure une diversité de profils qui aurait pu être un avantage.
Chez Toucan Toco nous créons une app de reporting pour les hommes et les femmes des grands groupes. Cela nous paraissait logique d’avoir une représentation égalitaire pour adresser une audience autant féminine que masculine. Aujourd’hui 20% de l’équipe de développeurs est composé de femmes et 40% de l’entreprise est composée de femmes à des postes techniques. Alors qu’une dernière étude de stack overflow établissait le nombre de femmes développeur en France à 8%, nous avons trouvé d’autres moyens d’adresser le recrutement de femmes.
Une des actions dont je suis la plus fière c’est celle d’avoir recruté une ancienne caissière qui souhaitait apprendre à développer. Si une organisation de 40 personnes est capable de trouver le temps pour former une développeuse, tout le monde peut. Encore une fois, le diplôme ne peut pas prévaloir sur les compétences, sinon vous vous privez d’individus excellents.
Effet Dunning-Kruger: nous ne traitons pas les enjeux de diversité, car nous nous pensons plus tolérant que nous le sommes.
Les humains sont extrêmement mauvais pour s’autoqualifier. Une étude sur les conducteurs de voitures aux états-unis montrait que 80% des conducteurs estimaient mieux conduire que la moyenne.
C’est ce que l’on appelle l’effet Dunning-Kruger. Cet effet de surconfiance est un biais cognitif qui statue que les moins qualifiés dans un domaine surestiment leur compétence. Dunning et Kruger attribuent ce biais à la difficulté des individus à reconnaître objectivement leur incompétence et d’évaluer leurs réelles capacités.
La première étape pour éliminer les biais, c’est d’accepter que nous sommes biaisés. Sans cette prise de conscience, nous ne pourrons pas adresser le problème de la diversité en entreprise.
N’hésitez pas à partager vos différentes expériences en commentaire afin que l’on puisse s’inspirer des actions d’autres organisations. Je cherche d’autres expériences comme la mienne pour faire évoluer ce sujet.
Sophie Despeisse
Geek depuis toujours et Software Craftswoman depuis 5 ans, partenaire et lead développeuse chez Toucan Toco.